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14 mai 2007 1 14 /05 /mai /2007 10:10

Quand j'ai rencontré Mme P. pour la première fois, il était treize heure; elle était dans sa chambre, à l'étage. Cette dame parle peu, et ce sont généralement des mots assez incompréhensibles..
Il fallait changer sa protection, comme à beaucoup d'autres résidents à cette heure. C'était l'"heure des changes" d'après l'organisation du service.
 Pour la changer, nous utilisons le verticalisateur. Ainsi, elle se tient debout aux poignées de la machine, tandis que nous nous occupons de la rendre propre. Mais c'est souvent quand elle est debout qu'elle a envie de "faire": elle se met à uriner, voire à défequer, alors que nous avons ôté la protection sale, mais pas encore mis la propre. Et quand ces moments là arrivent, elle se met à ricaner, et à proférer des insultes à notre encontre: "Tête de c..!", etc.

Je pense et c'est aussi la pensée de toute l'équipe: elle y prends un malin plaisir! Car en plus de rire, elle nous pince dès qu' on veut l' approcher; et dans ses grands jours, elle nous donne aussi des coups de pieds, en visant très bien les tibias, d'ailleurs!


 Bon, ça corse l' affaire, bien sûr: le soin ne devient pas facile. Parfois on y va à deux, quand on ne se sent pas en forme. Parfois aussi, on demande à la collègue de la faire, parce qu'on a pas envie de se faire pincer, insuter. Et lorsque c'est une petite nouvelle qui s'occupe d'elle (comme c'était forcément mon cas à mon entrée), là, Mme P., elle se marre, comme on dit! Parce qu'entre lui ôter la protection souillée, l' essuyer, voire la laver quand il y a des selles, retenir où on peut les selles et urines qui tombent dans le même temps afin de ne pas en mettre partout, insérer la protection propre, et éviter les pincements! On est vite dépassé!

Cette dame a aussi ses moments de douceur, mais ils sont plus rares. Bien sûr, si elle se comporte ainsi, il faut déchiffrer ce comportement: cette agressivité de sa part, c'est (à mon avis) tout simplement la réponse à la "violence" de la vie en institution. Savoir que c'est ici, et ainsi, que l'on achèvera son existence, ne m'enchanterai guère moi- même. Je cois que c'est pour cela que cette dame, je m'y suis attaché. Mes collègues ne me comprenent pas.

Elle, au moins, elle n'est pas inerte. Elle proteste, elle réagit. Elle nous dit à sa manière que ce que nous faisons, ça n'est peut-être pas correct; pas adapté. Inhumain?

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7 mai 2007 1 07 /05 /mai /2007 14:19
Je me souviens, j'étais en train de terminer la toilette de Mme B., quand ma collègue est entrée dans la chambre.

- Tu n'as pas vu l'infirmière? il faut surveiller Mme C. ce matin, parce qu'elle n'est pas bien. Je ne la sens pas; elle n'est pas comme d' habitude.. généralement je ne me trompe pas.
Il était 8h, ma collègue et moi étions au rez-de chaussée ce matin-là.
Le petit déjeuner allait bientôt arriver, nous avions encore pas mal de toilettes à faire, plus les douches.

Après une semaine de diarrhée, Mme C. était alitée depuis 2 jours, en position mi- assise.
Déshydratation sévère. "Respiration haletante" , avais-je lu dans la cahier de transmissions le matin-même.
 Brutalement, elle n'avait plus la capacité de manger, et boire de l'eau se terminait très souvent en fausses- routes. La veille, j'avais essayé de la faire  boire à la paille. Pas concluant du tout. Boire au lit n'est déjà pas simple...
Le médecin l'avait vue, n'avait pas posé de diagnostic, simplement prescrit du repos. Elle a pu faire un petit AVC, supposait l'infirmière qui était là la veille. "Elle en a déjà fait un".

En attendant, Mme C. ne s'alimentait quasiment plus depuis 2 jours. Elle devait rester au lit en permanence. Elle nous suppliait de bien vouloir la lever pour la mettre au fauteuil, il fallait refuser. Avis du médecin. Il fallait la faire manger à présent,elle ne pouvait plus tenir une fourchette, et peinait même à avaler les aliments. Quant aux eaux gélifiées* ne passaient pas très bien non plus.

-tu la trouves moins bien qu'hier matin, toi, Mme C.?
-je ne sais pas je n'étais pas là hier matin, et l' après-midi elle était comme ce matin. Mais S. la trouve moins bien.
-bon. De toute façon le médecin est passée hier matin.

A midi, une collègue se proposait pour aller la faire manger.

-alors, ça a donné quoi? Elle a mangé un peu quand même?
-elle a bien pris ses deux eaux gélifiées. Mais alors le reste ça ne passait pas. J' avais envie de lui taper dans le dos  pour qu'elle tousse moins; c'est comme si quelque chose est coincé et la gêne pour respirer.

Deux heures plus tard, nous débutions les transmissions.
Le médecin se joignait à nous une fois par semaine; pour faire le point sur un résident.
A son arrivée dans la salle et avant que nous soyions assis j'avais été la voir:
- vous avez vu Mme C.?
- ah non j'arrive là; avait-elle répondu d'un air agacé.
Il y a toujours à faire en Maison de Retraite. Le temps passe trop vite, c' est vrai. Souvent, je suis partie en retard. Terminer un change. Ecrire une note de transmission.Changer une résidente incontinente, trempée d'urine. Il faut bien le faire, on ne laisse pas les gens comme ça.

Quelques minutes après, nous débutions la réunion, lorsque le directeur est venu trouver le médecin. Il fallait venir constater le décès de Mme C.
Ma journée de travail était terminée.



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24 avril 2007 2 24 /04 /avril /2007 13:51
Une de mes premières toilettes, quand je venais d'être embauchée, fût celle de Mme L., au rez-de -chaussée.
C'est une dame qui présente une escarre au sacrum, et qui s'alimente très peu. Elle mange surtout les desserts.
Je lui lavait le haut* quand l' èlève stagiaire qui était présente me dit  d'un air amusé "ils sont marrants ses orteils ils se croisent! tu as vu?"
J'avait sûrement aquiescé, tout en continuant la toilette.

Quelques semaines plus tard, je devais accompagner et aider une résidente pour sa douche hebdomadaire.

-bonjour Madame! Je vous amène à la douche ce matin vous êtes prête?
-ah oui mais il faut m' aider! dit-elle en me montrant son fauteuil roulant plié devant sa porte d'entrée.
-c'est vrai que vous avez besoin du fauteuil; je vais l'ouvrir et on y va.
Je ne connaissais pas cette dame. Pourtant je la croisais tous les jours, et partageait son toit 7h par jour. Je crois bien que je ne connaissais même pas son nom. Plus d'un mois que j'étais là. Il y a des résidents comme ça, on ne fait que les voir, un bonjour ça va et voilà. Ils n'ont pas besoin de nous; ou si peu. Elle se débrouille toute seule por sa toilette le matin...Il faut peut-être lui enlever des bas le soir? Tiens il faudra que je fasse attention la prochaine fois que je couche **au rez-de chaussée.

Lorsqu'on ouvre la porte de sa chambre, un  psyché, en bois massif; de grandes plantes vertes. On pourrait croire qu'elle est chez elle, tellement c'est bien arrangé. Une chambre coquette, comme il  y en a rarement.
Elle a 97 ans.
La douche est étroite, surtout qu'elle a son fauteuil qui reste dans le couloir en plus. J'aurais dû attendre que la grande soit libre, mais en même temps ça nous aurait sûrement mis en retard.

- tiens ils sont bizarre vos doigts de pieds! il y a un orteil qui monte sur l'autre, et les deux pieds c'est pareil!
-ah oui ça fait longtemps.

Puis en passant la compresse entre les orteils pour sécher... ma curiosité était trop forte:
- mais c'est dû à quoi, vos ortiels? Vous savez??
- ah j'en ai fait des bêtises dans ma vie...je portais toujours des chaussures pointues, alors voilà le résultat!
Des chaussures pointues...
- pointues... au bout? comme ça? (en tentant de m'expliquer avec les gestes )
-oui, des escarpins...     Vous savez bien ce que c'est que des escarpins, non?

Le corps a une capacité d'adaptation extraordinaire.

* faire "la toilette du haut "ou "le haut": laver la partie haute du corps: le visage, le torse, les bras et mains, et enfin le dos.
On peut faire la "toilette complète au lit" ou bien la "petite toilette" (toilette intime) au lit et le haut au lavabo ou au fauteuil. Je développerai ces différentes pratiques de soins prochainement.

** coucher (au rez- de-chaussée ou à l' étage) sous-entend mettre au lit les résidents qui ne peuvent pas se coucher seuls.
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20 avril 2007 5 20 /04 /avril /2007 22:24
Des petites mains bien précieuses...Autant que l'étaient celles de cette petite dame, ancienne couturière, qui se recroqueville toujours dans son lit, sur son côté droit, auprès du mur. Cette dame, maintenant, elle est...là. Du matin au soir. On la pose ici ou ailleurs, comme un petit paquet; elle n'est pas encombrante cette dame, on pourrait en mettre deux comme elle dans son fauteuil roulant. En plus est est silencieuse. Pas gênante pour un sou.

Des petites mains bien précieuses que les nôtres, oui, dans un endroit comme celui- ci.
Parce que sans nos mains qui savonnent et  essorent le gant, qui mettent les changes et enfilent les pantalons, qui essuient les selles et brossent les dentiers, que seraient-ils? Peut-être  que les plus vaillants viendraient secourir les plus "lourds".* Certains mènent bien à table leur voisin en fauteuil roulant, alors? Lequel d'entre eux s'imposerait comme chef? Car dans toute communauté il faut un chef, la nature de l'homme le veut, c'est ainsi.

Aujourd'hui il y a eu des problèmes.
Des problèmes, d'équipe , d'éthique. Et des larmes.

Ce travail est passionant car humain, et vous prends au coeur.

-On va la coucher .
-Ah non pas possible ! il y a l'animation à 14h30.
-Ah bon?mais elle pourra dormir un peu quand même...Et puis il  faut la changer de toute façon!
-s'il faut tous les coucher et les changer  on sera jamais prêts.

Désaccord. Une collègue veut coucher les quelques personnes pour la sieste comme d'habitude. L'autre dit que non.
Bon. Et on change qui? Ceux qui pissent le plus? Ceux qui sont en fauteuil roulant?
Ceux qui ont des escarres aux fesses? Ou bien ceux qui le réclament seulement. C'est pas mal ça.  Bon, lui, il a été fait ** à 11h pas besoin de le changer de toute façon

Et Mme P. on la lève?
Ah moi je ne la lève pas.
Bon. Elle restera au lit aujourd'hui alors. Pourtant le docteur  a demandé qu'elle soit levée pour limiter les risques de fausses-routes. Mais bon. Après tout elle a mangé dans son lit des années entières cette dame.

Soupir.
En finalité, les résidents ont été couchés pour la sieste, changés, comme les autres jours (sauf le week-end) et sont arrivés à l'heure à l'animation.
En finalité, l'équipe aujourd'hui s'est morcellée, des questions abstraites, absurdes, inhumaines, se sont posées.
Deux collègues ont pleuré, et nous n'en étions pas loin non plus  en quittant le travail à 15h.

 

 















* dans le langage courant en institution, une personne "lourde" signifie qu'elle nécessite une prise en charge très importante. (Voir les GIR.)
**comprendre sa toilette à été faite à.
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