Quand j'ai rencontré Mme P. pour la première fois, il était treize heure; elle était dans sa chambre, à l'étage. Cette dame parle peu, et ce sont généralement des mots assez incompréhensibles..
Il fallait changer sa protection, comme à beaucoup d'autres résidents à cette heure. C'était l'"heure des changes" d'après l'organisation du service.
Pour la changer, nous utilisons le verticalisateur. Ainsi, elle se tient debout aux poignées de la machine, tandis que nous nous occupons de la rendre propre. Mais c'est souvent quand elle est debout qu'elle a envie de "faire": elle se met à uriner, voire à défequer, alors que nous avons ôté la protection sale, mais pas encore mis la propre. Et quand ces moments là arrivent, elle se met à ricaner, et à proférer des insultes à notre encontre: "Tête de c..!", etc.
Je pense et c'est aussi la pensée de toute l'équipe: elle y prends un malin plaisir! Car en plus de rire, elle nous pince dès qu' on veut l' approcher; et dans ses grands jours, elle nous donne aussi des coups de pieds, en visant très bien les tibias, d'ailleurs!
Bon, ça corse l' affaire, bien sûr: le soin ne devient pas facile. Parfois on y va à deux, quand on ne se sent pas en forme. Parfois aussi, on demande à la collègue de la faire, parce qu'on a pas envie de se faire pincer, insuter. Et lorsque c'est une petite nouvelle qui s'occupe d'elle (comme c'était forcément mon cas à mon entrée), là, Mme P., elle se marre, comme on dit! Parce qu'entre lui ôter la protection souillée, l' essuyer, voire la laver quand il y a des selles, retenir où on peut les selles et urines qui tombent dans le même temps afin de ne pas en mettre partout, insérer la protection propre, et éviter les pincements! On est vite dépassé!
Cette dame a aussi ses moments de douceur, mais ils sont plus rares. Bien sûr, si elle se comporte ainsi, il faut déchiffrer ce comportement: cette agressivité de sa part, c'est (à mon avis) tout simplement la réponse à la "violence" de la vie en institution. Savoir que c'est ici, et ainsi, que l'on achèvera son existence, ne m'enchanterai guère moi- même. Je cois que c'est pour cela que cette dame, je m'y suis attaché. Mes collègues ne me comprenent pas.
Elle, au moins, elle n'est pas inerte. Elle proteste, elle réagit. Elle nous dit à sa manière que ce que nous faisons, ça n'est peut-être pas correct; pas adapté. Inhumain?